Plusieurs personnages de Dostoïevski ont une affection particulière pour le mot «logique». L’écrivain fait vivre ses créatures en caractérisant le langage de chacun.
Il perçoit et reproduit d’infinies nuances, depuis l’argot du bagnard jusqu’à la prose de l’évêque. Il sait que le mot «logique» est susceptible de prendre des significations différentes, depuis celle que lui donne le logicien de profession jusqu’à des interprétations très floues, dans des conversations de salon. L’adjectif «logique», en russe comme en français, est parfois presque synonyme d’ «évident», voire de «normal».
Dans Les Frères Karamazov, un illustre médecin confond «logique» et «bon sens». Ces flottements de la langue permettent le développement du scientisme qui a dominé le XIX e siècle. Une prétendue logique se fait agressive. C’est ainsi que Dostoïevski lui-même, à titre personnel, a ressenti les choses. Il ne songe pas à répondre en utilisant les mêmes armes. Contrairement à ce qu’ont pensé de nombreux commentateurs, il évite la controverse. Comme certains de ses personnages, il est attaché à la personne du Christ, telle qu’elle apparaît dans l’Évangile. Il souffre d’entendre des athées l’injurier.
En tant que romancier, il est capable de comprendre une pensée agressive comme celle d’Ivan Karamazov. Quand il publie les propos du starets Zossima, dont il dit partager les idées, il estime avoir «répondu» à Ivan; il ne pense pas l’avoir «réfuté». Contrairement à certains de ses personnages, il ne nie pas la valeur de la logique. Il choisit plutôt de la critiquer, c’està-dire de tracer les limites de son pouvoir. Et il décrit impitoyablement les effets de certaine idéalisation de la logique, qui met en jeu les prestiges de l’imaginaire et les charmes douteux de l’hyperbole.
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