par Natalia Pashkeeva
L’équipe du Centre Soljenitsyne a l’immense plaisir d’annoncer à ses amis, fidèles des soirées culturelles, clients et clientes de la librairie Les Editeurs Réunis, auteurs et autrices des éditions YMCA-Press, que son projet « archives » se réalise enfin ! Grâce aux donateurs et donatrices, sans qui nous ne pourrions en accomplir autant, le rêve de soigner et de valoriser notre patrimoine historique devient réalité.
En quoi est-ce important ?
Nos archives constituent un ensemble documentaire complexe et riche, qui invite l’observateur d’aujourd’hui à se mettre dans les traces de nombreux acteurs du passé. Faisant face à des tragédies globales et individuelles du XXe siècle, ils espéraient tout de même avancer dans la recherche pratique et théorique de solutions pour un monde plus sûr, plus juste. Célèbres et influents, peu connus ou encore quasiment anonymes, ils ont tous participé à divers moments à la constitution de l’héritage historique exceptionnel, de caractère multiculturel et pluridimensionnel, que le Centre Soljénitsyne veut préserver et mettre en valeur. À travers la correspondance épistolaire, les comptes rendus des réunions et les notes analytiques, l’observateur d’aujourd’hui suit les trajectoires des acteurs du passé dans l’espace. Il traverse avec eux les frontières changeantes du monde après la Première Guerre mondiale, qui a vu la création de nouveaux États issus de la dislocation des anciens empires. Il apprend à connaître les difficultés qu’a la diffusion du livre russe sur le marché international, cherche à tracer l’extension de la zone d’influence du jeune État soviétique dénommé l’URSS, et assiste à des rencontres d’intellectuels et à des conférences œcuméniques de chrétiens sur l’ensemble des continents européen et outre-Atlantique. Intrigué, l’observateur d’aujourd’hui entre dans le concret des actions d’aide et d’assistance sociale déployées par des organisations internationales et des associations d’entre-aide émigrées en faveur des réfugiés et des personnes déplacées de la Deuxième Guerre. Enfin, il s’approprie le langage codé des partisans du Samizdat, qui cherchent à transférer clandestinement à l’Ouest les manuscrits des écrivains dissidents soviétiques, tels La Faculté de l’Inutile de Iouri Dombrovski (1909-1978), La Quatrième Vologda de Varlam Chalamov (1907-1982) ou L’Archipel du Goulag qui a fait grand bruit en Occident avec l’expulsion de l’URSS de son auteur Alexandre Soljénitsyne (1918-2008), qui choisit de publier ses œuvres complètes aux éditions YMCA-Press.
A la lumière de ce qui précède, la particularité de l’ensemble documentaire, qui constitue le patrimoine préservé par le Centre Soljénitsyne, réside d’abord dans la multiplicité des activités et des initiatives qu’il permet de décrire. Nos archives trouvent leurs origines dans le croisement des parcours chaotiques des exilés et émigrés de l’ancien Empire russe après la révolution de 1917 et des agents des organisations internationales protestantes à visée œcuménique, l’Alliance des Young Men’s Christian Associations (YMCA), en particulier sa branche américaine, et la World Student Christian Federation (WSCF), avec son centre à Genève.
Ils entrent en interaction d’abord de façon ponctuelle à Sofia, à Belgrade, à Prague, à Berlin et dans les autres villes du continent européen. Les réfugiés essaient d’y construire une nouvelle vie, alors que les agents des organisations internationales développent des projets de reconstruction de l’Europe d’après-guerre, en contribuant entre autre à la gestion des flux migratoires. Des rencontres aléatoires permettent l’établissement d’une coopération d’intellectuels et d’activistes chrétiens. Une interaction de longue durée devient notamment possible grâce à un groupe de professeurs, de théologiens et de représentants de la YMCA et de la WSCF, qui, à partir de l’été 1924, s’installe en France, dans la région parisienne.
Le groupe compte parmi ses leaders les philosophes Nicolas Berdiaev (1874-1948), Boris Vycheslavtsev (1877-1954) et Basile Zenkovski (1881-1962), les agents de la YMCA Paul Anderson (1894-1985), Edgar MacNaughten (1882-1933), Ethan Colton (1872-1952) qui supervise les activités à partir de New York, et Gustave Kullmann (1894-1961) qui rejoint la WSCF pour devenir ensuite officier de la Ligue des Nations, les théologiens Serge Boulgakov (1871-1944) et Georges Florovsky (1893-1979), les historiens Antoine Kartachev (1875-1961) et Georges Fedotov (1886-1951), enfin, les activistes de la jeunesse émigrée Léon Liperovski (1887-1963), Nicolas Zernov (1898-1980), Sophie Zernov (1899-1972), Léon Zander (1893-1964). Ceux-ci, pour ne citer que les plus connus.
L’élargissement progressif du champ d’action et l’extension des activités se réalisent dans l’entre-deux-guerres grâce au soutien du leader de la YMCA américaine et fondateur de la WSCF John Mott (1865-1955), connu pour la visée mondiale de son action d’évangélisation de la jeunesse, et le métropolite Euloge (Gueorguievsky) (1868-1946) qui est alors à la tête de l’Archevêché des paroisses orthodoxes russes d’Europe occidentale. L’institutionnalisation de cette coopération, notamment par la création des éditions YMCA-Press, de l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge et de l’Action chrétienne des étudiants russes, avec les contacts mondiaux de la YMCA et de la WSCF qui servent d’appui, permet de développer à partir de Paris les bases d’un réseau international de coopération qui rassemble les universitaires, les théologiens, les éditeurs et les activistes chrétiens et sociaux.
Un mélange subtil d’éléments culturels, religieux et nationaux marque les diverses initiatives de cette communauté. Son objectif global consiste à réaffirmer la place suprême du christianisme comme un système de valeurs sociales, afin de contrecarrer l’influence de l’internationalisme communiste et athée en vigueur en URSS. L’enchevêtrement curieux de relations, parfois concurrentielles et tendues, entre l’orthodoxie se révoltant contre les conceptions rationalistes du monde et le protestantisme plus « pragmatique », avec un fort penchant pour l’œuvre sociale, a donné lieu à des activités très variées, dont les traces, parfois petites et morcelées, se retrouvent dans nos archives : les éditions YMCA-Press, les ventes de livres par la librairie les Editeurs Réunis, les rédactions des revues Put’ et Vestnik RSHD, l’action œcuménique et interconfessionnelle et l’action auprès de la jeunesse, l’aide d’urgence et l’assistance sociale en faveur des émigrés, réfugiés, personnes déplacées ou prisonniers de guerre, ou encore, l’Institut Supérieur Technique Russe en France.
Nos archives ne sont pas encore disponibles pour consultation. Faisant suite à cette introduction, nous allons de temps en temps vous présenter des pièces du patrimoine documentaire préservé par le Centre Soljénitsyne.
Natalia Pashkeeva, historienne, responsable de la conservation du patrimoine du centre Soljenitsyne avec Nathalie Schmemann.
Les photos de Donald. A. Lowrie, Paul B. Anderson et Edgard MacNaughten ont été prises de l'édition électronique du livre de Kenneth Steuer Pursuit of an ‘Unparalleled Opportunity’,
La photo de Boris Vysheslavtseff a été prise du site web Dom Russkogo Zarubezhia https://www.domrz.ru/press/memo_dates/65_let_so_dnya_konchiny_b_p_vysheslavtseva/
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