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Quand un chardonneret s’échappe dans le métro

Des vers dans le métro ou dans le bus, quelle bonne idée ! ça fait rêver, ça aide à vivre emprisonné pour une heure ou plus… Or l’Underground de Londres vient d’afficher un poème de Mandelstam, un des plus miraculeux poèmes surgis à Voronèje. Ossip Mandelstam y vivait en exil avec sa femme, Nadejda. Un exil ou plutôt un sursis avant sa deuxième arrestation. Le poète avait acheté un chardonneret pour le fils de sa voisine. Avaient-ils accroché la cage ouverte dans un arbre de la cour, ou l’avaient-ils déjà libéré, et la petite merveille bariolée, perchée sur une branche, prit la poudre d’escampette ?  Il en naquit un poème, daté du 27 décembre 1936. Deux ans plus tard, jour pour jour, Ossip Mandelstam périt au camp de transit de « Vtoraja Retchka », près de Vladivostok. Rien n’est dû au hasard dans la vie d’un poète.

 

Le Centre Soljénitsyne de la Montagne-Sainte-Geneviève n’est pas un wagon du métro parisien, mais qui sait ?  Le métro parisien y fera peut-être son marché de poésie…

 

Mon chardonneret, je te regarde d’en-bas. Ensemble observons l’univers, à deux. C’est jour d’hiver,  piquant comme balle de blé. Dans ta pupille aussi ça pique autant ? Queue en soucoupe, et plumes en noir-et-blanc, Sous le bec une vraie raclée de couleurs ! Te rends-tu bien compte, mon chardonneret De ta prestance, de ta beauté ?  Et cette bulle d’air au dessus de ton bec, Ce noir et rouge, ce jaune et blanc ! Tes yeux rivés des deux côtés, des deux ! Non, il ne verra rien – il s’est enfui !

Ossip Mandelstam, 27 décembre 1936.


Chardonneret élégant
Chardonneret élégant (Carduelis carduelis). Wikimedia Creative Common 3.0 Ghislan33

 

Voici le poème dans l’original. (O. Мандельштам. «Полное собрание стихотворений», Санкт-Петербург. Новая библиотека поэта. Стр. 252)


Мой щегол, я голову закину — Поглядим на мир вдвоем: Зимний день, колючий, как мякина, Так ли жестк в зрачке твоем? Хвостик лодкой, перья черно-желты, Ниже клюва в краску влит, Сознаешь ли — до чего щегол ты, До чего ты щегловит? Что за воздух у него в надлобье — Черн и красен, желт и бел! В обе стороны он в оба смотрит — в обе! —Не посмотрит — улетел!

 

Voici le poème qu’on lit à Londres dans l’Underground, dans la traduction d’Andrew Davis:

 

Goldfinch, friend, I’ll cock my head - Let’s check the world out, just me and you: This winter’s day pricks like chaff. Does it sting your eyes too? Boat-tailed, feathers yellow-black, Sopped in color beneath your beak, Do you get, you goldfinch you, Just how you flaunt it? What’s he thinking, little airhead – White and yellow, black and red! Both eyes check both ways – both!- Will check no more – he’s bolted!

 

Merci à Pavel Nerler, qui m’envoie les précieuses informations de son « Centre Mandelstam ».   (mandelstam@hse.ru)

 


 

Georges Nivat 

Noël 2024


 

 Georges Nivat, slavisant, essayiste, professeur honoraire à l’Université de Genève. Traducteur d'André Biély, Gogol, Siniavski, Brodsky, Soljénitsyne. Auteur d’une douzaine d’ouvrages. Commissaire de quatre expositions à Genève et Paris. Derniers ouvrages en français : les Trois âges russes (Fayard, 2015), Alexandre Soljenitsyne, Un écrivain en lutte avec son siècle (Les Syrtes, 2018), Les Sites de la mémoire russe, tome II (Fayard, 2019). En russe : Русофил, (Moscou, Izd. Eleny Shubinoj). Il s’agit d’un ouvrage d’Alexandre Arkhangelski qui a pour sous-titre : La vie de Georges Nivat racontée par lui-même.


Site internet http//nivat.free.fr (liens sur plusieurs ouvrages en accès libre).


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